La prévision de la houle, par Hendrik Tolman


Hendrik Tolman
Hendrik Tolman


Exemple de prévision de la houle sur la monde par la NOAA
Le modèle WaveWatchIII fournit 4 fois par jour des prévisions de vagues sur le monde entier.

YaDuSurf a interviewé Hendrik Tolman, le responsable de la branche "prévision de la houle" à la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, équivalent américain de météo-France). Mr Tolman travaille depuis longtemps sur la prévision de la houle et a élaboré le modèle WaveWatch III, célèbre dans le monde nautique. Il nous décrit ici les principes utilisés pour établir la prévisions des vagues, et en profite pour nous faire un peu de théorie sur la houle.

YaDuSurf : Il y a une quinzaine d'années, les prévisions de houles sur internet n'existaient quasiment pas. Les surfers étudiaient alors les cartes de dépressions pour se faire une idée du surf des prochains jours.
Aujourd'hui, les modèles de prévision de vagues procèdent-ils de la même manière, en exploitant les cartes de pression, ou utilisent-ils d'autres sortes de données?

Hendrik Tolman : Les vagues sont générées par le vent soufflant sur la surface de l'océan, mais pas directement par les dépressions.
Pour prévoir les vagues, nous utilisons donc principalement le vent, ou plus précisément le vent à 10 mètres d'altitude. On obtient ces données grâce aux satellites d'observation, aux analyses de données diverses, et, si l'on veut des prévisions, aux modèles météorologiques opérationnels. A la NOAA, nous utilisons la dernière option : Nous prédisons les vagues en nous basant sur les prévisions de vent fournies par notre "Global Forecast System", autrement appelé GFS.

YaDuSurf : Selon quels principes un modèle comme WaveWatchIII prévoit-il la houle?

Hendrik Tolman : Regardons d'abord quels sont les processus qui gouvernent la croissance des vagues. Il sont au nombre de 3.

Tout d'abord, le "wind forcing": Le vent soufflant sur un océan plat va générer des petites vagues, dues à des petites différences de pression, très localisées au niveau de la surface de l'eau. A partir du moment où de petites ondulations sont générées, celles-ci vont modifier la circulation de l'air au dessus de la vague : Une pression plus forte est générée derrière la vague, et une dépression devant. Ce mécanisme à effet boulle de neige s'amplifie rapidement, et fait grossir la vague. Si la vague a pris assez de taille, un second mécanisme entre en jeu : les vagues les plus serrées intéragissent les unes avec les autres, et transfèrent leur énergie aux vagues plus longues, qui à leur tour vont continuer à grossir grâce au vent. Enfin, la vague peut déferler, même en eau profonde. Cela se produit surtout pour les vagues les plus pentues (steep waves), et même si ce déferlement en pleine mer n'est pas aussi violent que celui observé sur une plage, c'est un mécanisme qui est important car il permet d'évacuer par dissipation une partie de l'énergie accumulée. Ces trois processus (le wind forcing, l'interaction non-linéaire entre les vagues, et le déferlement) sont tous pris en compte par les modèles de wave de dernière génération comme WaveWatchIII

Une fois que les vagues sont générées, localement, par le vent, elles se propagent librement sur la surface de l'océan. En eau dite profonde (profondeur supérieure à la moitié de la longueur d'onde de la vague), elles suivent simplement leur route selon des cercles concentriques, avec seulement une très petite perte d'énergie. Les houles perdent en taille parce qu'elles voyagent dans différentes directions, et parce que les vagues les plus longues vont plus vite que les vagues courtes. Ce processus disperse l'energie de la houle sur de grandes étendues, en réduisant la hauteur des vagues pendant leur propagation. D'un point de vue physique, c'est un processus simple, mais bien plus difficile à modéliser avec un ordinateur.

YaDuSurf : Tout ceci concerne le grand large. Que se passe t-il sur la côte?

Hendrik Tolman : En eau peu profonde, les choses se compliquent : Les vagues commencent à perdre leur énergie à cause de l'interaction avec le fond (friction). Les vagues ralentissent, ce qui fait augmenter leur taille (C'est la raison pour laquelle vous pouvez avoir de belles vagues à surfer, alors qu'au large la houle est toute petite). En plus de cela, les vagues ont tendance à tourner pour se ranger parralèle à la côte. Ces processus de "shoaling" et de réfraction sont inclus dans les modèles actuels de vague, mais pour celà la physique à modéliser devient vraiment très complexe. Cela peut paraître assez évident pour un surfer, mais une vague qui déferle au large parce qu'elle moutonne n'a pas grand chose à voir au niveau complexité avec une vague qui déferle en tube sur la plage.

Nous sommes actuellement en train de travailler sur l'intégration de ces derniers processus dans notre modèle WaveWatch III, ainsi nous pourrons même prévoir ce qui se passera dans la zone de surf.

YaDuSurf : Revenons à notre sujet initial : Pour prévoir les vagues, connaitre le vent suffit?

Hendrik Tolman : Quasiment. Comme on l'a dit, les vagues sont générées par le flux d'air à la surface de l'eau, c'est pourquoi nous avons besoin de la description du vent. Historiquement, nous utilisons la vitesse du vent à 10m d'altitude, mais d'autres altitudes, ou d'autres paramètres "stressant" la surface de l'eau peuvent également être utilisés. Simplement, le fait d'avoir de bonnes données de vent est suffisant pour obtenir de bonnes prévisions de vagues. En connaissant la stabilité du vent, on peut encore améliorer notre modèle. La différence de température entre l'eau et l'air peut nous indiquer cette stabilité, et par conséquent être injecté dans le modèle. Enfin, nous utilisons les données de répartition de la glace sur les océans pour déterminer quelles sont les parties "ouvertes" des océans, c'est à dire les zones où les vagues peuvent être générées. On s'oriente dans le futur vers une prévision combinée de la météo, des courants, des vagues et de la glace, vu que ces éléments s'influencent les uns les autres.

YaDuSurf : Tous les surfeurs ont pu remarquer que la précision des prévisions de vagues se sont améliorées ces 10 dernières années. Les prévisions pourront-elles gagner en qualité ainsi indéfiniment, ou bien y a t-il une limite théorique?

Hendrik Tolman : On peut faire, et on fera mieux, mais les prévisions à court terme sont déja très bonnes. La marge d'erreur de certains modèles tombe en dessous de la précision de nos mesures... En fait, la notion de précision dépend de la manière d'observer la houle. La taille d'une vague est une mesure statistique, et non "déterministe". On arrivera un jour à un point où un gain de précision sera probablement trop petite pour avoir un sens pour un simple plagiste ou même un surfer. Cependant, nous n'en sommes pas encore là.

Propos recueillis par YaduSurf [07/08]
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